Trois soeurs

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Qui es-tu impudent visiteur pour ainsi venir troubler ce lieu ? Ton pas était conquérant au seuil de ce domaine, le voici hésitant face aux trois souveraines. De ta jeunesse tu portes sur ce front haut l’arrogance et pourtant ton regard est celui des hères inquiets. Crois-tu avoir accusé suffisantes et éprouvantes intrigues ? Cherchais-tu ici une trêve à tes tourments ? Tu n’es qu’à l’aube d’une singulière destinée. Entre et demeure à nos côtés, nous t’attendions. Pose ici ton épée, laisse choir ton manteau, ôte tes chausses. La terre noire au creux de nos mains comme unique vêtement, la glaise et l’ocre comme unique parure. C’est nu que tu devras ramper, affranchi de ce qui fut, est et sera. Des sombres entrailles de ta mère tu as glissé, aux sombres entrailles tu dois retourner. Ton monde n’est plus, il te faudra ouvrir les yeux sur une ère nouvelle, il te faudra happer l’air brulant des cieux vierges.

Sept jours et sept nuits où viendra se poser l’oiseau noir sur la matrice ardente. Sept jours où, par la main du grand façonneur, il sera couronné de l’auguste soleil blanc. Sept nuits où à son cou étincellera le torque aux six étoiles.

Six astres argentins et le reflet du joyau méridien suspendu à son bec. Ses ailes immenses déployées sur le sommeil des hommes, l’œil rouge agité, trépide sentinelle à l’affut des cinq esprits aliénés.

Cinq mégères aux bras faméliques et au sourire édenté, leurs langues turgescentes sifflant, en farandole autour du gardien coassant. Elles courberont l’échine lorsque viendront fulminer les quatre vents.

Quatre frères pour les terrasser, la vague redoutable, la colère fantastique des nimbes chaotiques. Une pluie de cendre et de sang, la terre dépouillée, les mers glorieuses, trois fleuves offerts en ultime providence.

Trois veines aux tourbillons frénétiques. L’amour, l’espoir, la rémission. En humble cours ils achèveront leur errance. Doux ruisseaux viendront gorger une plaine bientôt fertile. Son cœur perforé par les deux piliers d’une nouvelle porte.

Deux pierres levées et l’essence des dieux, et leurs chants et leur verbe à graver pour l’éternité sur la roche. La mère gémit, le sel des larmes parfume son sein de velours. Au terme un enfant, à l’avènement : un homme.

Un seul à qui tendre nos mains. Nous sommes sœurs, nous sommes guides. Te souviens-tu de nous voyageur ? Ouvre les yeux...ouvre les yeux et pleure.

Nous sommes sœurs, nous sommes guides.

La benjamine au pied gracile foule l’herbe tendre quand s’étire l’aurore. Celle qui danse, qui dessine les sentiers, serre ton bras pour la suivre et gambader à la recherche des simples magiques. Celle qui chante et de ses cheveux d’or, tisse les cordes des lyres enchantées. Celle qui pointe du doigt le gibier tapi à la lisière des forêts et chuchote à leurs oreilles dressées. A sa bouche vermeille les rires et le sucre des fruits, à poser sur la tienne dans un chaste baiser, dans le souffle des amours vraies.

La cadette au regard farouche bondit sur sa monture râblée et lève son glaive au zénith. C’est elle qui sort l’acier des fournaises et de ces gueules incandescentes, transmet la gnose qui anime les armes. C’est elle qui tire du ventre des montagnes la pierre fulminante, déposée en ta paume dans l’attente de l’amorce de foudre. C’est elle qui sera ton œil et ton bras quand tremblera la flèche sur l’if de l’arc et s’érigera la lance. A son poignet ambré, le seigneur des aigles, à lâcher comme élan de sa furie destructrice, le geste des invincibles guerriers, le mouvement juste.

Je suis l’ainée, le corps et l’esprit offerts sur une couche aux fragrances charnelles. Aux lueurs du crépuscule, mes flancs généreux tu exploreras. En moi le mystère des genèses et ma langue abandonnée sur tes lèvres, afin de t’insuffler les lais ancestraux. En moi l’univers et la roue féconde de ta race, car au berceau j’œuvre sans cesse, au tombeau j’accompagne sans répit. En moi le désir et la mort. Et nos corps communiant, la fulgurante béatitude avant le néant. A mon ventre, la lumière du monde, à enlacer pour sustenter ta force et ton ardeur, l’essence et la noblesse de toute chose, la liberté gagnée.