Tempus fugit
J’ai marché jusqu’à la mare, chahutée par les vents mauvais, à la rencontre de nos vestiges d’amour. Dans ce sanctuaire gardé par les libellules et leur éphémère beauté, les longues pousses de roseau se dressent autour des eaux troubles. Un miroir opaque, ceint de pieux acérés, piège des âmes dolentes.
Où étiez- vous lorsque les pans de ma robe s’y accrochaient ? Où étiez-vous quand mon visage se cherchait au dessus de l’onde plombée ?
Mon cœur dérobé, mon reflet volé. Et la patiente chorale des grenouilles rabâchant en mesure :
Tempus fugit
Tempus fugit
Je me suis réfugiée au pied du saule. La chute des camélias blanc, seul bruit dans l’air ouaté du soir. La brume des jours d’été retombait languissante sur les champs. Aux confins de mes songes, la même lueur bleutée, celle qui s’effilait à la lisière des forêts.
Je vous retrouvais tandis que les vallées retenaient le couchant.
Je vous retrouvais tandis que chantaient les grillons.
Mes suppliques asphyxiées, mon esprit écrasé. Et la nuit ivre de chagrin laissant glisser ses larmes stellaires :
Pour tous, la mort ...
Pour tous, la mort ...
J’ai regardé mes mains, j’ai su quels sillons allaient s’y creuser quand viendraient s’éteindre les jours. J’ai su que sans vous, je serai comme cette branche morte à mes pieds, les papillons en illusoire floraison sur les stigmates de l’écorce.
Je vous perds Aimé car votre hésitante monture se cabre devant moi.
Je vous perds Aimé car vous même vous égarez.
Vos soupirs affligés, vos entrailles tremblantes. Et mes lèvres orphelines des vôtres murmurant, dans la douleur assassine des espoirs :
Vous souvenez-vous ?
Vous souvenez-vous ?
Je m’en suis retournée au jardin des ombres. Un parterre de pensées sous les voûtes de chèvrefeuille. J’en tresse en votre nom des couronnes à foison, les doigts meurtris de s’être agrippés aux grilles que vous maintenez cadenassées.
Que serez-vous si vous prêtez main forte à ceux qui de vos ailes noires arrachent les plumes ?
Que serons-nous sinon deux amants déboutés, dorénavant fiancés à l’éternel sommeil ?
Votre dépouille au tombeau, ma carcasse à l’inéluctable. Et au cloître des regrets, nos crânes suspendus s’entrechoquant, macabre beffroi :
Ne craignez rien, mortels ...
Ne craignez rien, mortels ...