Pour eux

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Les manteaux noirs ont cessé de ployer sur le champ des martyrs et les vagabonds, enfants ou impies, dans leurs flâneries, rêvent. Ils rêvent, devant la plaine, à ceux qui sous la lune marchent, s’égarent au hasard et toujours reviennent, troupe grave et fidèle. Tous voient leurs armes au sépulcre reluire. Et les visages éteints et les plaintes lugubres.

Pour eux, la langue a conté, par eux elle a vécu. Ils se sont brisés sur une terre ingrate. Le fils s’est couché sur le sein de l’aïeul. Cœurs exaltés ou troublés, leurrés peut-être et figés là, à jamais. Le sang pour abreuver la lice, jusqu’au lit des rivières.

C’est pour eux que s’embrasent les nuées et que vibre l’air à l’annonce des nuits froides. L’alcôve sombre contemple le silence, l’hymne fait à ces morts. Et leurs os, sous la lie écumeuse des marais, sous cette prairie à l’herbe moirée, enfantent encore les brumes. Ainsi parlent-ils aux vivants. Pour eux a pleuré tout un peuple. L’éclat vif de leurs prunelles infiniment plus beau quand leurs mains, doucement, essuyaient ces larmes. Les prières plus poignantes, les chants plus intenses, scandés entre ces lèvres si souvent obligées de pudeur.

Les couronnes de fleurs, du front des vierges antiques échouèrent aux croix des calvaires. Les corolles, désormais flétries, s’éternisent, leur vélin délavé frémissant au vent secret des croyances d’antan. Car il fut un temps où les dieux, au crépuscule des batailles, hissaient les nuages ardents, tels mille sequins d’or, comme les guerriers suspendaient aux demeures leurs trophées. Un temps où les dieux, lorsque se taisait le jour, rendaient aux abîmes leurs étoiles et aux âmes des braves, la gloire.