Possédée, dépossédée
En ce monde, il y a mon amour. Il n’est plus mon amour. Il marche, peu importe où il part, peu importe dans quelle mer il se jette, il oublie. Il n’est plus mon amour et cherche dans le vœu des regards, dans les bras des nymphes, sur leurs bouches, cherche en illusoire et vaine quête où son corps et son visage sauraient ne point mourir.
Je tourne vers les Dieux, en prières ferventes, ma face blême de passion et de mort. Afin qu’ils lui prêtent vaisseau, gouvernent les vents et le détournent des récifs. Pour qu’il ne sombre jamais et s’éloigne sourire aux lèvres, prunelles claires et radieuses, affranchi. Pour qu’il s’éloigne tandis que je me fais rivage, dans le deuil, immobile. Seuil stérile où se fracassent les vagues soulevées au sillage de ce navire.
En ce monde il y a mon amour. Il n’est plus mon amour. Son souffle, violemment, en mille éclats m’a brisée. Subsistent quelques pierres de lumière disparates sur l’écueil sombre de ses pensées. Mille souvenirs au firmament accrochés, vaste nébuleuse. Mais s’il faut me suspendre morcelée dessous l’Orion, je m’abandonnerai aux soupirs de la terre en attendant ces aurores. Ces aurores plus belles encore lorsqu’elles s’annoncent aux regards plein de larmes.
Et je verrai alors, dissimulée derrière l’azur, gonfler sous le soleil les robes moirées et délicates des aubépines. Je verrai l’intime marais fleuri, l’épi doublé de l’ivraie au temps des moissons. Marguerites, bleuets et coquelicots pour piquer l’étendue veloutée des champs d’avoine. Et puis l’arbre, seul au cœur de la plaine, où les oiseaux ne trouvent plus refuge, pour des cieux plus cléments envolés.
En ce monde il y a mon amour. Il n’est plus mon amour. Il aura tout dévoré, aura tout dévasté. J’aurai donné jusqu’à ma quintessence, jusqu’à la moelle de mes os. Et je demeurerai, citadelle déchue, disloquée. Qu’il prenne ce qui reste encore, les sphères qu’il explore se font mon allégeance. A son insu je demeure près de lui, comme une ombre fidèle ... et invisible. A son insu, ma solitude est son étoile, mes ultimes lueurs sur le grand vélin noir où il fraie son chemin.
Il ne se souviendra pas qui l’a tant aimé et l’éclaire de loin. Il n’en saura plus rien.