Où je fus menée
Il m’a dit : Marche sur les collines après moi, vois où je te mène. Marche après moi, je danse sur les pierres face à la mer. J’ai toujours su courir sur ces étendues chaotiques.
Je lui ai répondu : Tu es l’immensité des flancs bruns où déferle l’écume opaline. Ces vastes espaces trouvant leur place dans tes bras car tout ici est à ta mesure. Il n’est pas un battement de ton cœur qui ne réponde au ressac, pas un seul de tes regards qui ne sache embrasser la plénitude du ciel sans en absorber sa lumière mouvante.
Il m’a révélé : Ceci est aussi ma terre, vois quel est mon pays... Son appel bouleverse, il donne le vertige à ceux qui n’en sont pas. J’en suis, enfant béni.
Je confiais dévouée : Aux hégires antiques, tu en fus l’éclairé souverain. Il suffit de te voir gravir les rochers où se nichent les oiseaux. Leur chant mélancolique te célèbre, te voici couronné par l’envol des mouettes et des goélands. A l’horizon, les dernières bribes du soleil couchant t’enlacent en une cape pourpre. Elle semble épouser tes larges épaules tandis que je te contemple au loin.
Il m’a dit : Marche le long des falaises escarpées, vois où je te mène. Marche après moi, nous sommes seuls au milieu de l’océan. Des quatre coins du monde soufflent les alizés.
Je lui ai répondu : As-tu commandé le vent afin qu’il ne me laisse pas pleurer ? Il sèche mes larmes avant même qu’elles puissent glisser sur mes joues froides. Qui suis-je pour mériter pareil spectacle ? Ivre d’amour au seuil des rivages bruts, bercée par le ruissellement des sources. Les méandres de leurs cours cisèlent les plaines aux herbes denses et s’abandonnent dans les flots verts.
Je vois où il me mène. Je marche après lui.
Mes pas dans les siens, le long des sentiers aux liserés d’ajoncs et d’essarts mordorés.
Les masures, les marais et les champs bordés par les murets de pierre sèche.
Le sel sur nos lèvres, l’odeur acre du goémon drainant entre les galets.
Mes pas dans les siens, sous l’orbe épanoui d’une douce lune. L’air semble vibrer en cette inaltérable nuit. Le murmure des vagues. Elles viennent caresser la peau luisante d’une plage, jusqu’à nos pieds. Plus sourde est leur musique au loin et l’éclat métronome d’un phare balaie le manteau constellé de la sorgue.
Mes pas dans les siens, je le laisse entrer dans notre éphémère demeure. Je l’observe derrière la fenêtre, cadre de mes chimères inavouées, si fragile obstacle entre nous. Le voici devant l’âtre, à la lueur des flammes. Guerrier au large front, mon seigneur, mon aimé, je le sais serein, reposé devant l’essentiel, là où le silence est maitre.
Debout dans la nuit, je chuchote et le prie : Oui, le silence est maitre. Il sera bien assez temps de t’arracher à moi une nouvelle fois. Puisse les Dieux dans leur mansuétude m’amputer définitivement de cette douleur. Qu’en mes rêves seulement tu demeures désormais, dansant sur les pierres, face à la mer. Tu as toujours su courir sur ces étendues chaotiques.
Souvenir d’Ouessant, Janvier 2008