L’arbre noir et l’étoile / Ar wezenn du hag ar sterenn
Il était gigantesque et beau. Ses vastes ramures semblaient aussi bien épouser le firmament qu’embrasser le sol. Les corbeaux de s’y percher, guirlande bistre et mouvante, gardiens de ses secrets. Sous la terre d’une plaine sans nom, couraient ses racines, des lieues à la ronde.
L’arbre noir.
Aux premiers cris de l’univers, la farandole du petit peuple, matrice alchimique, fit croître son tronc noueux. La lune glissait, aimable et rieuse entre ses branches. Le soleil l’abreuvait de ses ondes ambrées. Le vent l’invitait allègrement à ses jeux. La pluie l’enlaçait tendrement, dans la quiétude d’un souffle nouveau. Au delà du monde visible, face aux mers terribles, il siégeait, souverain des chimères. Enfant de l’absolu, assoiffé d’essentiel, de vérité.
Un soir, sur le sillage des nébuleuses antiques, à la mesure des hymnes scandés par les esprits thaumaturges, elle vint pour se pencher sur sa face obscure. Entre ses doigts délicats, l’amour, nimbe frémissant de douceur et de gloire.
L’étoile.
Vestale ondulant en une marche silencieuse et morne, elle espérait asile dans l’entrelacs de ses rameaux. Pour elle il fut créé. Pour l’étreindre. A lui elle fut menée, pluie d’argent sur le feuillage de jais. Jusqu’à l’absorption, l’alliance, l’extase. Et il en fut ainsi : l’arbre noir, ancré en son royaume, l’étoile, seule fleur entre ses bras immenses. Il en fut ainsi...jusqu’à l’éveil.
Nul ne sait qui l’a voulu, ni même pourquoi, mais ils furent jetés là, parmi les hommes, humains à leur tour. Arrachés l’un à l’autre, sans souvenir des songes d’antan, tout juste l’essence imperceptible de leur rencontre. Les voici en quête de leur reflet, de leur écho. Un fleuve aux violents soubresauts, un gouffre pour les séparer, d’une rive à l’autre, aveugles rôdeurs, rêveurs désespérés.
Mais l’incommensurable amour réclamait son dû, à chaque cycle, chaque Age, marquant leurs cœurs de son empreinte inaltérable. Les mains peu à peu de se rejoindre, leur monde onirique de se bâtir, comme aux temps révolus. Il caressait de nouveau son sein de lumière, mais une fois encore, il était trop tard. D’autres visages dévoués, d’autres bien-aimés avaient jalonné son chemin.
Les portes d’airain du royaume d’amertume, sur eux, se sont fermées dans un grincement sinistre. Comme elle a pleuré de l’autre côté, assise à l’ombre de cette cruelle frontière ! Elle se languit de lui maintenant qu’il a posé ses lèvres sur son âme. Il la désire maintenant qu’elle l’a révélé à lui même.
Ailleurs, l’arbre noir.
Son écorce se fend, laissant s’extirper lentement des larmes de sève blonde. Ailleurs, l’étoile.
Son éclat disparait, sombrant peu à peu dans une nuit abyssale, murmurant :
"Gwezenn Du ! Gwezenn Du ! Voici quel est ton nom ! Entends ma complainte arbre noir ! La mort ne sera rien. A travers le miroir des illusions, je reviendrai.Gwezenn Du, te chuchoterai-je inlassablement à l’oreille. Afin qu’aux prémices d’une autre vie, nous puissions nous retrouver, à jamais."