En aod, mythique univers.
Taillant les flots noirs, un frêle esquif et ses voiles lacérées, charpie torturée par les vents mauvais. Debout à la proue, je vois ramer ces fantômes aux visages multiples, incarnation de mon passé. Il ne reste aucun souvenir des havres désertés et l’espoir se dissout dans les méandres du temps. Doucement la lassitude s’épanche sur mon esprit. Comme le sable sous les vagues, je me laisse bercer, l’âme embuée. Et lorsque les cieux s’enroulent au dessus de ma tête, gigantesque serpent aux écailles cendrées, rugissant, haranguant furieusement les océans, mes doigts meurtris s’agrippent aux flancs rongés de mon fragile vaisseau. L’assaut des lames, êtres menaçant à la chair viride, m’épuise, m’élime, m’écrase. Me voici les yeux rougis et brûlés par le sel. Lentement mes membres s’engourdissent. Je glisse, dos sur le pont, j’attends la mort sans même m’en rendre compte. Sur mes lèvres, une dernière fois cette prière :
"Où est l’étoile que je cherche en vain ? Dans l’insondable ventre blanc des brumes, vais-je encore m’égarer sans fin ?".
Et de par le verbe sacré surgit l’impensable. La chaleur. Les traits blonds et radieux du soleil percent le brouillard, tresses éclatantes de Lug léchant les flots, effleurant ma peau, embrassant mon visage. J’entends le croassement de l’oiseau noir, planant au dessus de mes bras tendus. Dans un effort ultime, je parviens à me redresser. Le vol enchanté du corbeau attire ma barque sur les berges d’une terre fabuleuse.
Désormais, mes errances stériles ont cessé, j’avance éblouie à la découverte de cet endroit où subsiste l’énergie créatrice. Sa main a peuplé ces contrées de héros prodigieux. Hommes, femmes, enfants, bêtes, créatures de légende émergent de l’hémorragie de ses lignes, du ruissellement de ses couleurs. Par delà le miroir de ton âme, ils sont le fruit d’un regard, l’écho d’un savoir et d’une culture. Je marche ici à l’aventure, suivant leurs traces, écoutant leurs histoires, enveloppée par la beauté de ce monde.
Et soudain, je comprends.Ces écueils à la robe de varech, acérés devant les éclats ivoirins de l’écume, ces rivages sablonneux parsemés de galets aux rondeurs disparates, modelés et lustrés par le ressac. Ils sont ceux d’un amour perdu. J’empreinte les sentiers qui bordent les côteaux, les rafales du large ont fait se prosterner leurs toisons arborescentes. Je suis offerte à ces plaines, larges fronts à la force paisible, parés du diadème améthyste des bruyères. Le cœur humble et révérent devant la majesté de ces forêts, tes pierres consacrées et mystiques, les veines limpides de ces rivières, vouivres des entrailles caverneuses, aux sourdes déambulations.
Mythique univers, je ne voulais plus partir, j’avais encore tellement à découvrir. Je le voyais tel qu’aux prémices originels et posait, admirative, l’extrémité de mes doigts sur ses lèvres. Pour qu’il me parle encore, qu’il laisse chanter son peuple, la faune, les éléments aux qui résident en lui, là où l’oiseau solaire voulut guider mes pas.
Parle encore, ne te détourne pas, aspire à "être », sombre et violent crépuscule de cette terre mais aussi aurore lumineuse et bienveillante. Demeure ainsi et à jamais vivant.