Celui qui marchait

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Crains, mon enfant, le verbe empoisonné de la souveraine des illusions funèbres. Si ton âme, torturée par de chaotiques pensées, laisse l’amour céder la place à l’amertume, elle invoquera les esprits tourmenteurs aux abords des marais de tristesse. Par leurs suppliques obsédantes, ils te harcèleront, et ce, jusqu’à t’en déchirer le cœur tu venais à t’apitoyer sur le sort de ces cadavres décharnés, cénacle méphitique dans l’eau poisseuse, ils n’attendront qu’un geste imprudent de toi. Si, accablé et hanté, tes pieds frôlent les rives où les roseaux dissimulent leurs bras faméliques, ils enserreront tes chevilles pour t’enliser dans la vase glauque de leur dernière demeure. Ces maudits ont l’éternité pour pleurer encore leurs forfaits, les crimes qui les ont conduits là.

Horde carnassière au service du mal, ils se sont jetés sanguinaires à l’assaut de leurs frères. Ambition, convoitise, cupidité les ont convertis à leurs vaniteuses intrigues et les ont dupés. Aucun n’a survécu, aucun ne le devait, car ils ont mené ces combats dépourvus de noblesse. Le Vénérable en avait ainsi décidé, posant alors le sceau des souvenirs infâmes sur l’esprit des vagabonds indolents, laissant la rouille ronger les armes sinistres, le temps grignoter l’acier des armures, dévorer leur morgue. Passe mais hâte-toi, ne te laisse pas séduire par leur butin rutilant dans les ondes saumâtre. Les oiseaux au manteau d’ébène, campés sur les lances fichées dans le limon impur, te mettront en garde. Ne touche pas aux carcasses de leurs chars encore marqués par les chairs éclatées, oublie les visages des Dieux impies façonnés sur leurs boucliers rompus, consent à ce que la fange les recouvre, accepte-le sans regrets.

Ne te retourne pas et avance.Eloigne-toi de ces dangereux travers, ceux qui animent tes entrailles de leurs douloureux soubresauts, larve noire tapie dans ta cervelle, espérant ton abandon pour croître et suinter, dans l’absolue conquête de ton être. Nul ne sait où te mèneront tes pas mais si, en ton sein, l’espoir inexorablement se débat, sache qu’il existe d’autres pays de légende, aux vastes steppes, aux prairies généreuses, ventres féconds aux pieds des monts brumeux. Là-bas, les routes épousent les flancs de la nuit et ses astres cléments. Guidé par les étoiles jusqu’aux lueurs des campements, tu trouveras le réconfort dans la bonté des visages croisés, des mains tendues, des hommes au regard rieur, des femmes au sourire franc.

Comme leurs voix sont douces à l’aube ! Ils louent la danse du vent, lui qui accompagne le vol de leurs oiseaux de proie. Ils célèbrent aussi la marche du soleil, celui qui pose sa couronne cuivrée sur leurs fronts remarquables. Ils sont la lumière de leurs soies et de leurs brocarts, la force, la grâce de leurs jeux martiaux, l’élégance de leurs joyaux ciselés, le plaisir de leurs mets rassasiant. Nobles cavaliers dressés sur leurs chevaux intrépides, empereurs de toutes les contrées, ils naissent aux pieds des monts d’orient, mais c’est la terre des plaines d’occident qui recouvre leurs morts et leur cortège équestre, animaux chimériques aux parures divines. Le mystère des mondes sacrés réside dans la bouche des conteurs sans âge. Ecoute leurs récits épiques, assieds-toi à l’ombre de leurs tentes et ferme les yeux. La musique d’un monde nouveau se disperse dans les méandres indomptables des fleuves, caresse le galbe des forêts de jade, prélude allié à la danse des insaisissables volutes d’encens, ondulant sur les fresques énigmatiques des Anciens.

Ouvre tes bras à la liberté promise.Ici, tu trouveras la paix.