Oraison
Ces mains dans la cendre ne devraient pas être les miennes, ces os que je ramasse devraient être les miens. Au pas de ma porte, une nouvelle statuette fichée dans la terre auprès de celles de nos aïeux, un visage de pierre. Mon fils.
Le feu a dévoré sa dépouille. Devant elle, les guerriers ne se pressent point les uns aux autres et gardent leur rang. A l’ombre de leur casque peuvent glisser les larmes. Les vieillards soulèvent de leurs bras malingres les tambours et s’assemblent pour chanter. Les femmes sont sorties de leur logis en pleurant et déchirent leur vêtements, les nourrissons ne tètent plus leurs mamelles, les fours se sont éteints. Passant l’allée aux flambeaux, les enfants mènent les chevaux jusqu’au tertre et laissent leurs pères les immoler. De l’autel au porche du sanctuaire, des clairières sacrées jusqu’à l’océan, les prêtres et les augures ont dansé avec nous et l’aube a ravi l’âme du grand chef.
Je marchais tête haute alors que mon cœur maudissait les Dieux. Mais ceux-là étendirent leurs mains sur mes songes et mon enfant riait, empoignant mes épaules. Il se moque de la mort, il se moque de nous. Il est l’étoile gardienne des nuits interminables, il tend son doigt vers le soleil. Il est la foudre au dessus des batailles, le roulement des chars, le claquement des fouets. Il est la lueur au fil des épées, à la pointe des lances. Le sang sustentant le monde des abîmes. J’ai vu les aigles se faire sentinelles à l’entrée de son tombeau. J’ai vu les corbeaux fondre sur ceux qui approchaient sa demeure ; Et ma colère s’est apaisée. En mon esprit, son image terrible et impétueuse.
Souvenez-vous, peuples ennemis, de ses cris formidables ! Comme l’aurore vient embraser la cime des montagnes, la charge de son armée a mainte fois dévasté vos cités. Sous vos traits elle n’a point reculé. Ses hommes, harangués par la clameur des cors, ont couru vers vos murailles chancelantes, grimpant sur vos maisons, entrant par vos fenêtres, bondissant plus agiles que les loups du soir. Rien ni personne ne leur a échappé. Les visages ont pâli, les corps ont tremblé, reins brisés. Les cieux ont disparu sous les voiles de suie et les lourds sabots des chevaux ont piétiné les récoltes. Vos femmes et vos enfants servent désormais les nôtres, vôtre bétail a grossi nos troupeaux, vôtre or illumine nos fronts. Souvenez-vous, peuples ennemis, de ceux qui ont foulé vos armes !
Et en son nom nos vénérables scandent-ils son éminence :
Je suis le chien rouge, le bondissant aux mâchoires béantes ! Le furibond au talon sanglant ! Je me ris de toutes les forteresses ! Je raille les princes, je fronde les rois ! Ils me poursuivent comme la tempête pour me disperser, ils sifflent en encerclant ma tanière. Mais j’attire ces serpents au bourbier ! Mon œil en un éclair les embrasse tous, mes flèches jamais ne les manque ! Et les miens ne peuvent ni se mesurer ni se compter. Nous sommes justes, nous sommes forts ! Nous sommes fidèles à ceux qui nous ont forgés ici-bas et ne nous abandonnent pas, hissant la lune et les étoiles pour nous guider, l’astre des jours pour embrasser les joues de nos enfants. Je suis le chien rouge jaillissant de l’au-delà et je veille sur nous ! J’ai marché en brave et la mort me fût honorable. Mes fils sont remontés sur leurs coursiers pour fendre les vents et jamais le fruit ne manquera à l’arbre, la brebis aux pâturages, le lait au sein de mes filles. Et s’il vient aux fous l’envie de cracher à nos faces l’opprobre, sur nôtre sillage ils trouveront le chaos !