Les passagers de l’onde

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( illustration sonore : http://www.youtube.com/watch?v=jNn6EugSTNA)

Je chantais ton nom dans ce jardin. Roi de tout mon univers, tu dors maintenant sous le tertre où décline le soleil. Ton palais n’est plus qu’un amas de ruines. Les cerfs viennent paître la mousse épaisse au pied des murs délabrés. Triste bâtisse où tu rêvais d’éternité, où je rêvais d’amour. Et nous nous sommes réveillés dans les larmes. Les Dieux de toutes choses, en créant la douleur se sont donc surpassés. Mais tout est si calme désormais. Juste une brise de printemps. Les saules frémissent au bord de l’étang, les roseaux empanachés oscillent légèrement. Ce jardin où je déambule enfin en paix.

J’attends là, sise sous le treillis émaillé du verger. Les jacinthes, les mille parfums des bois embaument l’air du soir. Puis la brise d’enfler en un vent chahuteur, secouant les pommiers fleuris. Je contemple la délicate pluie de pétales virevolter et tomber sur les pierres éparses. Plus bas à chaque instant, le duvet filandreux des nuages dans l’éther rose. L’orage approche, mes mains sont fraiches. Quelques éclairs jaillissent sans bruit, le ciel semble palpiter pour finalement craquer. Le doux crépitement de la pluie et le grondement du tonnerre, en vibrante étreinte se déploient dans les airs.

Je regarde surgir de l’horizon ce cavalier, comme tout droit descendu des nuées. Est-ce celui que j’espérais ? Je n’emprunte pas les sentiers de la certitude mais je quitte ceux du néant. Je dois laisser ton fantôme sonder la nuit qui l’emprisonne. Il pourra errer sans trêve dans les ténèbres, les charger, se débattre, il n’en sortira pas. Je n’entendrai rien, tournée vers ce seigneur qui à bride abattue me rejoint. A l’unisson résonnent mon coeur et l’impétueux galop du cheval.

Homme brave et mélancolique, te voici près de moi, à me tendre la main. Dans l’ombre bleue du jardin, j’embrasse la chaleur de cette paume, la pose contre ma joue. Fils des tourmentes, sur ta monture imperturbable tandis que se déchainent les cieux. Ta caresse me révèle ce que je pensais avoir perdu. Aimer, aimer en offrande absolue. A mon tour je peux, comme le vent souffle sur le tison et ravive sa flamme, exalter ton âme. La nuit, les bassins des fontaines sont plus beaux encore lorsqu’ils s’emparent des étoiles, ainsi laisse-moi scintiller dans l’eau noire de tes prunelles !

Sous la pluie, ton doux sourire pour éclairer sombre visage. Sous la pluie je suis face à toi telle ces fleurs qui à l’aube ploient, couvertes de rosée, puis devant le soleil se redressent. Toi, dont le front humilie l’astre des jours. Tu me libères de mon fardeau, de tout mon être te fais lumière nouvelle. Légère, je monte à tes côtés, je respire les parfums de ta longue chevelure, ceux de ton cou. Ces arômes m’évoquent les crépuscules d’été, quand se dissipent les dernières fumées des herbes brûlés. Le coquelicot doit puiser la fragrance de sa pourpre en ton sang. Je m’enivre de ce corps sur lequel je penche le mien.

Je chantais ton nom dans ce jardin. Roi de tout mon univers, tu dors maintenant sous le tertre où décline le soleil. Ton palais n’est plus qu’un amas de ruines. Affranchie des neiges passées et des brumes de l’avenir, je peux fermer les portes de ce domaine. Mais dans la serrure j’ai laissé la clé, pour d’autres amants, d’autres enfants.

Le trait éclatant de la foudre vient de heurter les flancs délavés de la contrée. Je m’en vais.

A Manuel Lefebvre, enfant de Thor, ma main dans la tienne, mon compagnon de route.